Le printemps des âmes – Cliona Noone

 

         Brooklyn Strasse de Gabrielle Segal conte, le temps d’un été, la vie des habitants d’un petit immeuble de Brooklyn. Gabrielle Segal dresse le portrait de la vie quotidienne de ces New-yorkais quelconques mais touchants avec une justesse remarquable. Chacun est à un tournant de sa vie et au fil des pages s’y questionne et s’accomplit.

Brooklyn Strasse, Gabrielle Segal, Ed. Maurice Nadeau, 208 p., 18 €

          Gabrielle Segal, pour son premier roman, nous dévoile le passé, le présent de ces personnages et laisse entrevoir leur futur, si communs et pourtant poignants. Cet ensemble de personnages totalement différents – tel la famille Parker avec Pete qui est ouvrier, sa femme Mary-June et leur deux fils, Roy et Chuck. Leur propriétaire, médecin retraitée, Madleen Hutikton y vit également, également grande amie de Stefan Karmerr l’épicier du quartier. La puissance de Brooklyn Strasse n’est pas son histoire mais ses  histoires : celle de la survie des anciens déportés des camps de concentration, mais aussi la survie face à l’abandon paternel. Ainsi, Madleen et Stefan, anciens amants qui ont vus leurs histoires d’amour et leurs vies brisés par la déportation. Chacun survit comme il le peut : Madleen a choisi de se reprendre ces études et de se reconstruire sa vie aux Etats-Unis en changeant de nom et reniant son identité allemande alors que Stefan a décidé de réprimer tout ce qu’il était avant la guerre – un étudiant en philosophie qui souhaitait devenir professeur agrégé- pour devenir épicier et posséder sa propre boutique. Segal ne décrit pas ses personnages en eux mêmes mais leurs densité, tout ce qu’ils ont été, tout ce qu’ils auraient pu être, tout ce qu’ils seront. C’est en cela que réside la finesse de l’écriture de Brooklyn Strasse qui montre ces personnages anéanties par l’Histoire et leurs histoires.

        Chaque chapitre adopte un point de vue narratif différent, qui permet de comprendre les personnages à travers leurs regards mais aussi au travers de celui des autres. Le procédé provoque une recherche de la part du lecteur qui cherche à comprendre leurs relations. Le récit mêle également passé et présent pour illustrer la confusion de certain personnages comme Norman, qui vit seul mais se comporte comme s’il vivait encore avec sa mère décédée. Ou parfois, le passé et le présent se mêlent pour mieux suivre la pensée du personnage ainsi que de mieux comprendre son approche d’un événement. Le procédé narratif est au service de la pensée des personnages, comme cela l’a pu l’être dans Gens de Dublin de James Joyce, bien que Brooklyn Strasse soit beaucoup plus léger, et la narration plus traditionnelle.

         Au milieu de tous ces personnages hétéroclites,la quête de soi semble constante. Gabrielle Segal nous conte des personnages par bribes, forçant le lecteur à faire ses propres liens, ses propre hypothèses, nous laissant nous imaginer mille et une choses.  Ainsi, tout comme les personnages, le lecteur est en quête de compréhension, et de lien entre ces personnages si différents.  Ainsi, l‘écriture est toute en finesse et rien n’est donné au lecteur: c’est à nous de comprendre, de rechercher, de lier, et finalement d’aimer ces personnages, qui semblent tous à la dérive. Les histoires sont lourdes et la vie semble cruelle à ces individus: Madleen est mourante, Mary-June est une femme battue, Stefan toujours traumatisé par les camps, Norman terriblement seul. Pourtant ils n’en perdent pas pour autant le goût de vivre ou leurs fantaisies. Grâce à la renaissance que connaît Mary-June et ses fils alors que Pete disparaît, Brooklyn Strasse porte un message d’espoir face à ce quotidien harassant.

         Brooklyn Strasse reste un roman léger grâce à ces personnages qui, ballotés par la vie, n’en perdent pas pour autant leur bienveillance. Si dans cette immensité new-yorkaise, ils semblent esseulés, ils n’en deviennent néanmoins pas quelconques mais brillent par leurs courages. Pour un premier roman, Gabrielle Segal réussit à sublimer des histoires ordinaires et à les retranscrire poétiquement pour les rendre universelles.

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